Appartenir

Publié le par Marc

Il parait que l’autre est le miroir de soi. Que ce que l’on supporte le moins chez lui est assurément une part de nous-mêmes que l’on refuse de voir.

Est-ce que la vulgarité de quelqu’un que l’on perçoit ou subit ne ferait pas écho à quelque chose de vulgaire en nous ? Quel est le regard que nous portons sur nous-mêmes et sur les autres ? Pourquoi chacune de nos observations sur nos semblables est entachée d’un jugement ? Pourquoi ressentons-nous une culpabilité nous poussant à nous juger nous-mêmes ? Pourquoi avons-nous tant besoin de nous différencier et de juger celui qui ne rentre pas dans notre cadre de référence ? Ne serait-ce pas justement parce que nous lui ressemblons trop ? Cette question est diablement dérangeante ! L’autre est notre miroir. Il reflète les facettes les plus inavouées de notre personnalité. Il nous renvoie à ce côté obscur que nous avons tous en nous.
Si nous étions parfaitement en règle avec notre belle personne, pourquoi serions-nous affectés par le comportement des autres ? Qui peut nuire à autrui si ce n’est en lui renvoyant quelque chose de déplaisant et qui le conforte dans cette image ? Si nous avions une image correcte de nous, personne ne pourrait l’altérer, pas même celui qui nous traiterait de tous les noms d’oiseau.

On peut alors en déduire que rien ne peut nous altérer si l’on a un beau regard sur soi. Mais là c’est une autre affaire ! Comment peut-on avoir une belle estime de soi avec toutes les casseroles que l’on traîne ? Comment avoir un regard intérieur sain, alors que notre être tout entier, notre image de nous-mêmes, ont été écornés par des tuteurs et autres éducateurs par essence imparfaits ? Pas facile alors d’aller chercher au plus profond de nous une véritable forme d’affection, de respect et d’amour. Alors, à défaut de retrouver notre image originelle, on en fabrique une aux standards de notre société. À force d’effort, de lutte et d’apprentissage, on construit une image fantomatique de nous même. On porte différents masques : celui de l'être respectable, du lettré, du riche, du sage... régis que nous sommes par notre ego si attaché au paraître.

Appartenir

Lorsque l’on éprouve un sentiment de distance envers quelqu’un, tentons de nous rappeler que nous sommes tous interdépendants et que quelque chose nous unit, qu’on le veuille ou non. Nous sommes interconnectés et voguons tous sur le même bateau. Prenons de la hauteur. Pensons aux astronautes qui nous observent du haut de leur station orbitale. Quel effet cela doit-il faire de se retrouver à contempler la terre ? L’on doit sûrement ressentir un sentiment d’unité. De voir ainsi notre planète englobée en un seul regard, et de réaliser que tout ce que nous vivons est là, sous nos yeux, doit créer un sentiment nouveau.

Imaginons-nous alors dans la stratosphère, observant cet énorme globe abritant nos enfants, nos voisins, notre collègue de travail, mais aussi en son pôle, l’esquimau, en son sud les peuples de la Terre de Feu ; tout ce petit monde cohabitant tant bien que mal et puisant dans cette vaste nature. Assurément, d’une telle hauteur, nous ressentirions un grand sentiment d’appartenance. Une impression si globale qu’elle effacerait tous nos sentiments de différence. Du haut de notre astronef, les hommes, les femmes, les castes, les classes, les couleurs, les races, les grands, les petits, les gros, les maigres et même les animaux, végétaux, minéraux... Tout appartiendrait au vaste concert de la vie. N’est-il pas plus plaisant de voir ainsi voir le monde ?

Nous nous dirions alors :
« Oui, c’est cela. Je suis la vague qui clapote au bord de l’océan. Je n’existe pas par moi seul. J’offre mes formes aux yeux du monde, mais ma vraie nature est l’eau. Je ne suis personne, si ce n’est l’océan. Je me distingue de temps à autre du calme de la grande étendue. J’offre l’espace d’une vague, mais ma vraie nature est l’eau, et non cette rondeur fuyante qui se perd dans le ressac. Le temps de me voir et je n’existe plus. Je puise ma force dans la vaste étendue à laquelle je suis intimement et indissociablement liée. L’unité totale en somme. »

En attendant, nous sommes au cœur même de la ruche ; perdu parmi les « nôtres » et les « autres ». En train d’aimer, de haïr ou de juger.
Quel est cet espace entre moi et l’autre, entre moi et moi-même ? Cette distance entre ce que je suis et ce que je voudrais être, entre ce que j’aime et ce que je n’aime pas, entre mon rêve et ma réalité, entre moi et les autres. J’explore ces intervalles accueillant mes jugements, mes affects et mes contradictions. Je suis bien loin de moi-même et si proche en même temps. Cette distance entre nous et nous-mêmes, entre nous et l’autre, devrait nous aider à mesurer l’étendue du chemin qu’il nous reste à parcourir.

Nous redescendons dans l’atmosphère, au niveau de notre ville, de nos voisins, de nos conjoints, des passants que l’on croise dans la rue. Ils sont là, si proches, et non plus perçus de nos 35 000 mètres d’altitude. Ils sont bien distincts et offerts à notre esprit ego centré qui prend un malin plaisir à les classer dans des petits casiers. Nous atterrissons doucement chez le genre humain et constatons que nos relations sont sans cesse ternies par cette fichue image de soi que l’on veut renvoyer à l’autre. Nous sommes en perpétuelle représentation ; tiraillés par cette peur de ne pas être aimé.

Peut-être devrions-nous observer de plus près le reflet que nous renvoie l’autre ; mesurer avec grande minutie la distance qui nous sépare de nous-même et des autres. Peut-être verrions-nous alors notre véritable visage.
Comme disait Michel de Montaigne : « Il se trouve autant de différence de nous à nous-mêmes que de nous à autrui ». Sénèque, quant à lui, avait peut-être raison en disant que la relation à l’autre procède souvent d’une relation d’affaires. Et que dire de Socrate qui disait que nul n’est méchant volontairement ?

Crédit photo : Pixabay

Publié dans Conscience

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