L’ordre et le chaos

Publié le par Marc

Je suis au volant de ma voiture. Perdu dans mes pensées, je désactive mon pilotage automatique et me concentre sur la route en tenant fermement le volant de ma voiture. Je suis soumis aux implacables lois de l’apesanteur, de la gravitation et de la force d’inertie. Si je lâche le volant, je suis quasi certain de m’attirer de gros ennuis. Malgré cela, je ne peux tout prévoir et l’imprévisible s’invite dans mon quotidien sous la forme d’un chat qui sans crier gare me coupe la priorité. En un centième de seconde, mon cerveau reptilien envoie un influx prodigieux à mes muscles et tendons pour écraser la pédale de frein. Dans la même fraction de seconde, mon néocortex considère que le coup de frein ne suffira pas pour éviter le pauvre animal. Un coup de volant s’impose, et comme toute réaction instinctive n’ait pas toujours bien réfléchi, ma voiture fait une embardée et vient heurter le bord du trottoir. Le chat est sauvé, mais ma roue avant a souffert ! Les premiers soucis de la journée commencent !

J’expérimente à présent la théorie de l’ordre et du chaos, surtout du chaos. Naturellement, mon premier réflexe est de me soulever contre ce désordre. Que dis-je, de pester contre ces imprévus qui me gâchent l’existence. Je me penche sur ma roue avant droite, constate qu’elle a pris des airs d’accordéon, mais que le pneu a tenu bon. Dépité, je ramasse les restes de mon enjoliveur qui n’a plus grand-chose de joli et recueille au passage les propos d’un passant : « Je crois bien que vous allez devoir changer votre roue et peut-être votre pneu, car vous risquez de déjanter après un choc pareil ! » Je prends note de la remarque pertinente du brave homme et retourne dans mon véhicule la mine renfrognée.

Sur le retour, ma calculette mentale fait le tour du problème : dépense imprévue, voiture immobilisée, etc. Quelques rues plus loin je tente de relativiser en me disant que le plus important est que le chat soit sauf, et qu’après tout, il y a pire dans la vie.

Les quelques minutes et kilomètres qui me séparent de chez moi m’entrainent dans une réflexion plus poussée. Une phrase de Nietzsche me revient à l’esprit : « Le préjugé foncier est de croire que l’ordre, la clarté, la méthode doivent tenir à l’être vrai des choses, alors qu’au contraire, le désordre, le chaos, l’imprévu n’apparaissent que dans un monde faux ou insuffisamment connu... »

Moralité…

L’imprévu s’invitera toujours sur notre chemin de vie et nous aurons beau faire, nous ne maîtriserons jamais parfaitement mon existence. Tout cela nous le savons bien, mais il y a une petite voix en nous qui s’y refuse. Notre scénario de vie doit être parfait : un bon conjoint, de beaux enfants, un bon travail, une belle vieillesse, et si possible, une belle mort. Tout doit être beau, parfait et moral du début jusqu’à la fin. Notre bonheur ne peut souffrir de la moindre contrariété. Aucun grain de sable ne doit venir enrayer notre planning de vie si savamment organisée. Rien ne doit dévier de l’ordre établi, car nous devons tout maîtriser. C’est peut-être pour cela que je nous nous entourons de contrats pour nous prémunir de ce qui nous lie avec l’autre : contrats moraux, contrats de mariage, contrat de travail, sans compter les assurances de toute sorte. Mais peut-être que dans la vie tout est orchestré selon un chaos savamment organisé. Comme disait l’autre, le chaos n’est qu’un principe méconnu de l’ordre. Et comme ose le dire l’historien américain, Henry Brooks Adams : « Le chaos est souvent source de vie alors que l’ordre génère des habitudes. »

Les Orientaux, eux, n’ont pas la même façon de voir les choses. Pour eux l’avenir ne doit pas être nécessairement maîtrisé de bout en bout. Lao Tseu disait qu’il fallait savoir accepter les choses comme elles sont et vivre dans le Tao, c’est à dire, faire partie intégrante de la « roue » et non se battre sans cesse contre ce qui à nos yeux n’est pas acceptable.

Peut-être que derrière le chaos se cache un ordre parfaitement établi. Un ordre parfait. Peut-être aussi que l’équilibre parfait réside dans l’acceptation du désordre et de sa remise en perspective. Peut-être même que trouver cette perfection est l’essence même de la spiritualité, du lien direct avec le sacré.

Crédit photo : Pixabay

Publié dans Conscience

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